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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les courses sans jamais oser le demander...

Hivernale des templiers, Décembre 2021

L'Astragale

  • Trail 66km 2300 m de dénivellé

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5 décembre 1307 

Cela faisait maintenant plusieurs heures qu’il avançait sous de beaux flocons de neige. A chacun de ses pas, il sentait sous ses chausses, se tasser la poudre blanche. Elle était fraîche et légère, comme son humeur, malgré le froid qui lui glaçait les joues et les mains. Satisfait d’avoir réussi à duper ses tortionnaires, il appréciait l’air vif de la liberté. Après des semaines à subir la question, il avait habilement manœuvré pour faire croire à des aveux… mais son secret allait rester bien gardé. Il avait dupés ses geôliers en livrant quelques éléments suffisants pour faire diversion et permettre sa relaxe sans lâcher l’essentiel.

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Depuis qu’il était entré dans l’ordre du Temple, Il avait voué sa vie à sécuriser le chemin des pèlerins vers Jérusalem. Dans le rôle de messager, il était incontestablement le meilleur. Ses qualités de rapidité et d’endurance lui procuraient un atout inestimable pour cette mission. Sa condition physique était enviée de tous et on voulait comprendre le mystère de sa forme. Il s’était fait arrêter à la commanderie de Sainte Eulalie avec ses frères en ce Vendredi 13 octobre sur ordre du roi Philippe IV le Bel, qui avait organisé une arrestation massive de tous les templiers de France. Ils furent enfermés et confiés aux inquisiteurs, pour qu’on leur soutire des aveux d‘hérésie et d’idolâtrie. Mais dans son cas particulier, ils étaient intéressés par la révélation de sa préparation physique, pensant pouvoir acquérir des performances équivalentes aux siennes. Il le savait et les tenait grâce à cela. Mais comment ont-ils pu penser l’avoir fait céder si facilement, lui, dont le mental était fort et résistant, à l’image de son corps ? Ils ont cru que leurs intimidations, leurs accusations de sorcellerie avaient semé suffisamment de peur pour affaiblir son esprit. Ils n’ont pas imaginé que ses longs périples l’avaient rendu endurant aux privations de sommeil et de nourriture qu’ils lui ont infligées durant plusieurs jours. Ils le pensaient très affaibli et à bout lorsqu’ils l’ont enfin fait mener à la salle de torture, assurés de le faire parler rapidement. Tout se passait comme prévu, il a donné le change en résistant au début, puis il a fait mine d’accoucher d’informations, sous la douleur. Dans le fond, il les avait bien bernés en leur fournissant un plan d’entrainement sur 2 ans, sensé développer toutes les qualités dont il était doté. Il avait ensuite livré la recette d’un breuvage pour améliorer la performance dans la durée. Mais il avait pris grand soin de garder pour lui l’essentiel, l’élément sans lequel rien ne fonctionnerait.

FB_IMG_1638896506521Il se mit à rire intérieurement en imaginant ses ennemis s’exercer durant des années sans obtenir le résultat attendu. Il sentait une douleur vive dans ses doigts broyés par la « poucette » mais, grâce à cette ruse, il avait avoué juste avant les « brodequins » qui ne lui auraient pas permis de conserver l’usage de ses jambes. Il s’assit un moment sur un rocher pour mettre un peu de neige sur sa blessure et calmer la douleur. Il contemplait le chaos grandiose que la nature offrait à son regard, il se sentait bien ici, et savourait cet instant. Et c’est là, qu’il se sentit naturellement enclin à graver, sur ce rocher lui servant de siège, son précieux savoir. Il faisait confiance à ce Dieu tout puissant, auquel il avait voué sa vie pour que seule une personne aux intentions nobles lise son message. Il se releva alors, empli du sentiment de plénitude de celui qui sait qu’il a accompli sa mission sur terre, et continua sa route. Il disparut lentement dans la brume du Larzac pendant que la neige tombait, recouvrant les traces de ses pas…

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Septembre 2019 

L’ordre du temple est maintenant dissout depuis plusieurs sciècle. Le pape Clément qui fut à l’origine de cette fin en 1312 laissa les esprits chevaleresques en quête de sens perdus et sans but. Depuis, se sont montés par ci par là des petits groupes, clubs plus ou moins reliés entre eux par un organe central appelé fédération. Ils tentent de redonner un peu de couleur à leur vie en se fixant de petits objectifs : un trail par ci, un marathon par-là, un ultra ailleurs, bref rien qui ne soit vraiment du niveau d’un pèlerinage... Sans but religieux, chacun court pour soi, bien loin de la devise qui était inscrite sur l’étendard de bataille des Templiers : "Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tu da gloriam" (Non pour nous, Seigneur, non pour nous, mais pour la gloire de ton nom).  Les membres de ces club n’ont pas pour objet de sauvegarder les chemins de pèlerinage ni de protéger quiconque, ils cavalent après tout et n’importe quoi sans raison précise et pas forcément vers Jérusalem. Parmi ces clubs, celui de l’athlé 632 s’est inspiré d’une route départementale de la région Toulousaine pour trouver son nom. Faut-il pour autant présumer du manque de spiritualité de ses membres ?... Ce que l’on en sait c’est qu’ils ne répondent pas aux ordres du pape Innocent II, mais suivent aveuglément et aléatoirement le premier licencié qui fait une proposition. Cette fois-ci c’est Cécile qui les guide en choisissant l’hivernale des templiers. Fédératrice, elle mènera une section d’une bonne quarantaine de coureurs vers les terres arides du Larzac.  Chacun s’entraine dur sous les ordres du commandant Seb pour accomplir un exploit sur des formats de courses variés entre 16 et 66 kilomètres. Comme le Templier devait respecter ses vœux, l’athlète s’engage à suivre les plans d’entrainements, quand l’un observait la règle, l’autre suit les périodes de récupérations, ils obéissent tous deux à leur hiérarchie (sauf quelques brebis galeuses qui n’en font qu’à leur tête), l’acceptation des contraintes de la vie en communauté se fait maintenant via des pages doodle partagés, mais pour ce qui est de renoncer aux plaisirs matériels du siècle, le traileur est bien loin de se contenter de l’habit sobre des chevaliers moines, les chaussures haut de gamme, les manchons de compressions, vestes imperméables ultra techniques et légères, lampes frontales perfectionnées, sont autant de plaisirs matériels dont il n’est pas prêt à se passer !

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5 Décembre 2021

Caro et Alex arrivent sur la ligne à 6h44 pour un départ à 6H45. Ils sont accompagnés d’une fine pluie. Steph, Bruno, Rémi, Thierry et Samson sont placés devant depuis un moment et Seb est déjà parti avec la première vague voilà quinze minutes. Le premier challenge de la journée consistant à se garer est déjà gagné. Ce ne fut pas si simple, il a fallu redescendre en marche arrière une voie sans issue montant en serpentins et blindée de voitures puis se garer un kilomètre plus bas et revenir jusqu’à l’église du village. Mais ils ne sont pas en retard et peuvent partir avec la seconde vague comme prévu.

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FB_IMG_1638898885255Les 5 premiers kilomètres montent assez pour faire regretter à Caro de s'être armée de 6 couches: tee-shirt manches longues pour commencer, débardeur du club pour marquer 10 points au challenge, teeshirt de vélo pour avoir des poches, coupe-vent pour protéger, veste de pluie et poncho pour retarder le moment où la veste imperméable ne le sera plus. Pour ne laisser aucune chance au froid, des protections Mappa recouvrent ses gants de trail, un bandeau protège ses oreilles sous le bonnet abrité par une casquette sur laquelle est rabattue sa capuche. Un sur pantalon de pluie se porte garant que son collant épais ne sera pas mouillé. Alors forcément, au bout de deux kilomètres elle a l’impression d’être dans une cocotte-minute. Tout le monde grimpe à la queue leuleu regardant ses pieds quand à mi- pente la neige apparaît, les arbres sont recouverts d'une pellicule blanche et c'est un décor idyllique d'hivernale qui se profile. Arrivés au sommet, chacun admire le fameux rocher de Roucangel qui se dresse tel un trophée, fier sur son promontoire.C'est la première récompense de la journée.

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Le jour commence à poindre et il est possible d'éteindre les frontales pour évoluer dans la blancheur de la neige et de la brume. Le sentier chemine à travers causses et forêts, et rejoint l’ancienne petite gare désaffectée de Labastide Pradines, il suit un moment les rails puis des monotraces techniques et de vieux chemins pastoraux guident les coureurs jusqu’à Lapanouse de Cernon et son ravitaillement accueillant dans une ancienne et grande bergerie. Après ces 18 km, la soupe chaude et les toasts Roquefort-pain d'épice sont appréciables.

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Et c'est reparti pour une montée vers le chaos du Ségalas, une belle section à travers ces rochers ruiniformes est suivie de parties un peu plus fatigantes pour Caro qui se laisse distancer par Alex et commence à trouver la course dure. Le terrain glissant ne lui convient pas très bien et une tendinite du fascia lata commence à la titiller... C'est bien tôt dans la course pour avoir déjà mal. Elle attend avec impatience le prochain ravitaillement au cœur de la cité médiévale de Sainte Eulalie de Cernon. Il est servi dans la salle d’honneur de l'ancienne commanderie, on sait recevoir ici ! Luc est présent pour apporter des affaires de rechange et du réconfort. Une fois de plus la chaleur et le plein d'énergie font un bien fou, la machine repart.

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Alex qui a retrouvé sa famille est toujours là ils repartent ensemble. Une rapide visite du village Templiers en déambulant dans ses ruelles pavées et les coureurs remontent sur le Larzac par le chaos du Rajal de Peyre. Et alors c'est le début d'une longue traversée en partie en hors-piste à travers les causses. Les coureurs sont très espacés et ont durant quelques kilomètres une impression d'être seul au monde sur le plateau enneigé. Cette partie est plus roulante Caro se sent un peu mieux. Arrivés plein sud sur les bords du cirque de Sainte Beaulize, il est temps d'admirer la magnifique vue sur la vallée. Le sentier chemine en bord de falaise avant de s’enfoncer en forêt et Alex reprend de l'avance. Une descente cassante réveille la tendinite qui se tenait tranquille jusque-là. C'est dur, aussi, Caro motive un compagnon de malheur et à deux ils retrouvent la force de continuer jusqu’en bas. Tout cela pour remonter aussitôt en direction de la ferme fortifiée du Viala-du-Pas-de-Jaux, le phare du Larzac, joyau historique incontournable de cette épreuve.

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L’appel du ventre est intense, Luc est présent et donne des renseignements sur les copains. Alex est en train de repartir et Thierry semble s’attarder. Il essaie de partager ses impressions de course avec Caro mais cette dernière peu loquace se jette goulument sur les toasts au Roquefort. Elle remplit ses poches de gâteaux apéritifs et repart. Luc fait quelques centaines de mètres avec elle, il reste maintenat 11 kilomètres, ça devrait le faire...  Un plateau particulièrement venté vient la refroidir. Il est très dur de retrouver du rythme, elle alterne 10 pas en courant 5 en marchant quand une nouvelle descente assez longue se présente. Elle est plutôt douce et permet de trottiner, pendant ce temps, le jour décline doucement. Il faut remettre la frontale, Caro s'assoit sur un rocher, attrappe sa lampe et se penche pour soulager son dos. Elle remarque alors des lettres gravées dans la roche. Elle essaie de déchiffrer ce message qui semble avoir traversé les siècles. Elle arrive à deviner un T, suivi de ce qui ressemble fort à un A puis un demi-cercle, sans doute un C... Le sigle suivant pourrait à nouveau être un A puis un autre T, encore un A et un C... Quel mystérieux mot ? Qui a bien pu graver cela ?

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La nuit sera totale pour la montée suivante qui se présente très longue et très raide à 61 km de course. Caro se change les idées en faisant tourner ces lettres dans sa tête… Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Elle cherche une anagramme : « CAT A CAT », un anglais qui aurait vu passer un gros chat peut être ? Malgré cette diversion, la montée boueuse et glissante parait interminable tout comme la descente suivante au bord d'un précipice qui se termine par des volées de marche dans le village de Roquefort. Avec la fatigue, il devient difficile de coordonner ses pas pour descendre chaque marche un tacatacatac fatigué généré par le bruit des pas et des bâtons sur le sol se fait entendre. Le chemin débouche vers l’arche de départ et Caro se croit arrivée mais au lieu de se rendre à gauche directement vers l’arrivée, on la fait tourner à droite et redescendre via des ruelles un bon kilomètre sous le village, le point d’arrivée qui semblait si proche s’éloigne… pour terminer en beauté par un raidillon qui la ramène dans la salle des fêtes de la cité du fromage.

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Pendant ce temps, là-haut, derrière les nuages qui avaient fait leur œuvre de sabotage en cachant le soleil toute la journée, Dieu et le templier contemplent la situation en se bidonnant. Le tout-puissant dit au héros moyenâgeux : « Tu vois, si tu files ton secret à une blonde, t’es tranquille, il ne risque pas d’être mal utilisé ».

Mais c’était sans compter sur Danielle, qui attendait son heure rééduquant sa cheville et qui, elle, avait bien compris le message « TACATAC », vous ne perdez rien pour attendre !